Oui, je pense que ça joue pas mal.
On a vécu une époque où il était courant de voir de la viande froide et des gens en train de raisiner sur le bord de la route.
C'était dans la vrai vie et pas à la téloche.
Plus facile, dans ces conditions, d'appréhender la fragilité intrinsèque du corps humain autant que notre condition de mortels et de réaliser, grâce à ceux qui sortaient pas trop esquintés de cabrioles fantastiques, le coté imprévisible autant que peu influençable du sort qui était réservé à ceux qui élargissaient les trajectoires.
On a été nombreux à rouler en bécane sans équipement particulier; la combarde, c'était surtout un truc pour la piste.
Et encore, même là, c'était pas obligatoire comme maintenant.
Donc, pour nous, on prenait nos motos en connaissance de cause et prêt à passer à la caisse et éventuellement dans la caisse en sapin.
Les quelques enterrements de potes motards auxquels on a participé étaient là pour nous le rappeler à l'occasion.
Mais cette acceptation du danger s'est transformé avec le temps en… allergie.
D'accord, l'accident de la route est un fléau.
Nous, on savait qu'il risquait de nous tomber sur la gueule comme la pluie.
Aujourd'hui, l'exigence est qu'il faut qu'il fasse toujours beau.
Que ce soit sur la route, au travail, dans ses loisirs, l'heure est à l'immortalité.
Autant je considère que claquer est un sale coup à faire à ceux qui nous aiment, autant je pense que cette vision utopique d'une vie où il ne doit rien arriver de fâcheux est insensée.
C'est générationnel et mes 55 balais n'y sont à mon avis pas pour rien dans ma façon de voir les choses.
Pour en revenir aux équipements, on est un peu dans la situation du port de la ceinture: Ma génération l'a porté dès le début de sa vie de conducteur.
Donc, la question ne se pose pas, on est conditionné pour la boucler.
Par contre, pour nos parents, c'était une autre histoire…
Il y a quand même une différence majeure entre la ceinture et les protections du motard (hors casque): La ceinture de sécurité a fait la preuve de son efficacité pour ce qui est de la mortalité routière, pas les protections moto.
Ne serait-ce qu'en vertu de cela, il conviendrait de foutre la paix à ceux qui n'en portent pas…
J'ai fait les gorges de la loire mercredi en jeans tee-shirt et casque minimaliste; difficile d'expliquer le plaisir que l'on a de sentir le vent sur soi.
Pas évident d'expliquer que ça change du tout au tout la perception de la ballade ni que, quand on a pris goût au truc, on préférerai laisser la meule dans le garage que de partir en armure.
D'un coté, tu pars léger et libre comme l'air faire ta virée et, de l'autre, va expliquer cela à des gens qui ont été conditionnés dans une logique de pratique dangereuse; le terrain d'entente n'est donc pas possible car on parle des langues différentes.
On te parle du gravier qui va te lacérer la peau quand toi, tu réponds: "Fous moi la paix et laisse moi profiter de la vie".
Il y a quand même un truc à signaler pour finir: Chaque fois que je prends ma moto, j'évite des accidents.
Mercredi, une conne qui pile au milieu d'un rond-point parce que terrorisée par le poids lourd qui arrivait en face et ne lui demandait rien.
La fois d'avant, j'ai sauvé mon cul en évitant le piège d'un caisseux qui tournait à gauche sans clignotants ni intersection, celui-ci rentrant chez un garagiste.
Cela me permet de valider tout ce que je mets en œuvre en terme de comportement sur ma moto pour rentrer chez moi sans dommage, sans protection mais sans péril aussi.
Cela aussi a vocation à mettre en perspective l'utilité des protections qui ne peuvent, au mieux, qu'atténuer des dommages que je passe ma vie à éviter, avec réussite jusqu'à présent.
Si maintenant je me mettais à avoir peur des camions que je croise sur la route, comme la morue de mercredi, je ne donnerai pas cher de ma peau sur une moto, avec ou sans protection…
Ce n'est pas la crainte qui sauve mais la confiance en soi et la bonne compréhension de ses limites.