Un semblable à tout autre, mais qui n’est pourtant pas pareil.
Il fait signe à un inconnu qu’il croise, clin d'œil de phare en guise de salut.
Il ne supporte pas la vue d’une moto en panne au bord de la route.
L’esprit motard, le vrai, c’est aussi l’ouverture d’esprit.
L’âge n’est pas important, la condition sociale non plus.
Deux roues et un moteur suffisent pour en être.
Entre les deux, il peut y avoir 100 kilos ou 300 kilos de ferraille ; qu’importe.
Il y a le hipster tatoué comme le golden boy à Rollex qui vont s’encanailler ensemble au bord d’une piste ; trêve des classes sociales le temps d’un grand prix.
La même clef à bougie pourra sans complexe passer d’une meule à mille euros à un bijou à 30 fois plus cher.
Les verres tinteront, indépendamment de la bière ou du champagne qui y coule.
Même les gobelets de champomy y trouveront leur place.
Ce qui est bien, entre motards, c’est que ce qui rassemble compte plus que ce qui sépare.
Il y a ce dénominateur commun qui transcende.
On est tous le con de quelqu’un mais il y a quelque chose qui le fait passer au second plan.
Il y a des gens plus brillants que d’autres, plus ou moins doués, plus ou moins compétents.
Mais on s’en fout parce qu’on a tous eu peur face à l’imminence d’un crash.
Ce baiser de la mort qui nous rappelle qu’être là est une chance et que tout le reste est moins important.
Le tutoiement n’est pas une formule, c’est l’acceptation commune que la franchise est plus précieuse que les convenances.
On dit les choses, on se prend la tête, on s’engueule et on se raccommode.
Si ce n’est pas possible, chacun laisse à l’autre le droit de faire sa vie de son coté.
On ne sera jamais potes mais, sur la planète motards, les routes restent ouvertes.
Ce bel équilibre est parfois contrarié.
Le motard ne tient plus la route ; il a un problème de centre de gravité.
Les couilles lui montent à la tête.
Le voyage n’est plus le sujet mais le voyageur.
L’essence n’est plus celle qui coule dans le carburateur.
Les sens interdits nous font devenir spectateur de son propre voyage.
On se met dans la comparaison, devenant défenseur du voyageur que l’on est par peur de sa propre dévalorisation.
On devient un sujet alors qu'on était pas le sujet.
Une position à défendre, une réputation, une ombre portée qui dérange, et cette mécanique bien huilée se met à grincer.
Le pot de détente devient pollution sonore.
Le phare qu’on se réjouissait de croiser devient cyclope menaçant.
On commence par inspecter quelles motos sont en terrasse avant de décider de sortir la béquille ou pas.
Un monde est en train de s’écrouler.
Voilà le danger qui guette le motard qui oublie qu’il est un privilégié.
Il va alors devenir un simple usager de la route.
Parce qu’il n’a pas saisi que l’important, c’était le voyage et pas le voyageur, il est devenu un usagé de la route.
Il faut donc réagir.
On est confiné depuis si longtemps qu'on risque bien de devenir con fini.
L'hiver est long, les jours sombres.
Mais ce piège ne se refermera pas sur nous.
Merde, on est des motards !
Ce n'est pas un covid ou un mot plus haut que l'autre qui va nous faire renier ce qui nous rassemble.
Alors, reposons nos couilles bien sagement sur nos selles et laissons les vibrations salutaires de nos twins les consoler gentiment.
C'est ainsi que le voyageur reprend sa place dans le groupe, que la route s'ouvre sur de nouveaux horizons et que le voyage redevient le sujet, le voyageur rassuré que sa place ne soit pas contestée.
